Note de lecture


Économie des ressources naturelles
Gilles Rotillon (2005)

La nature fournit à l’homme des ressources. Mais ces ressources, qui lui rendent en général bien service, lui causent régulièrement des tracas, en raison de ce qu’il faut bien appeler leur rareté. Mais, et c’est le point de départ de Gilles Rotillon, dans un premier chapitre qui pose la terminologie générale de l’économie des ressources naturelles, cette rareté n’apparaît qu’avec leur existence aux yeux de l’homme. “Une ressource naturelle n’est pas si naturelle que cela” nous précise-t-il. “Le radium, aujourd’hui indispensable en médecine, existait bien évidemment avant sa ‘découverte’ par Marie Curie en 1896. […] Il a fallu de nombreux progrès en physique nucléaire pour arriver à le domestiquer et en faire un outil de lutte contre le cancer”. Avant cela, le radium n’existait pas en tant que “ressource”. On ne peut parler de ressource que dès lors qu’une technologie permet de l’exploiter. D’autre part, une ressource trop chère n’est pas valorisable, ce qui se traduit par son “inexistence économique” (puisqu’elle ne satisfait pas un besoin). On ne peut parler de ressource, au sens économique, que si la technologie qui permet de l’exploiter ne génère pas des coûts prohibitifs.

On distingue les ressources épuisables des ressources non épuisables. L’auteur met évidemment en garde sur le sens d’épuisable. Toute ressource naturelle peut disparaître, que ce soit le pétrole ou les espèces animales utilisées par l’homme pour son alimentation (oui, il reste encore des non végétariens). Mais à la différence du pétrole, qui existe en stock fini dans la nature, les espèces animales ont la capacité de se régénérer. Leur stock peut varier, à la hausse comme à la baisse, au cours du temps. Dès lors qu’il reste un couple de la même espèce, elle peut voir sa population redevenir importante (ceteris paribus). Le pétrole renvoie aux ressources épuisables, alors que les espèces animales ou le bois d’une forêt correspondent à des ressources renouvelables.

Les inquiétudes concernant le pétrole ne sont pas originales, si l’on se souvient qu’au 19ième siècle l’état du stock de charbon inquiétait tout autant. Evaluer les stocks de ressources épuisables est important. Mais c’est un exercice complexe. L’auteur décrit les différentes conceptions du stock dans cette perspective. Sans entrer dans le détail, l’idée générale est qu’on peut se fier à des stocks connus, des stocks probables, des stocks exploitables techniquement ou économiquement. Et en croisant ces critères, on obtient une vue assez peu lisible de la situation. Alors que les géologues se basent plutôt sur des notions de stock physique plus ou moins effectifs, les économistes, au sujet du pétrole par exemple, “comparent plutôt l’évolution de la consommation et celle des prix de la ressource, et constatent que la consommation augmente quand les prix diminuent, posant ainsi la question de la réalité de l’épuisement des ressources. Au fur et à mesure que la ressource devient plus rare, son prix augmente, reflétant cette rareté croissante, et son usage diminue”. Rotillon ajoute que la baisse de l’usage (et la hausse du prix) permet à des substituts de remplacer la ressource en devenant compétitifs. Ainsi, contrairement au message des discours alarmistes, la raréfaction d’une ressource n’est pas une source d’arrêt de la croissance, dans la mesure où elle conduit à l’émergence de substituts.

Les ressources renouvelables doivent s’appréhender selon un schéma qui va mettre principalement en avant le niveau de la population et son taux de croissance, lequel dépend par exemple en retour du niveau de la population. L’intervention humaine devra, pour préserver la ressource, prélever des quantités qui maintienne la population à un niveau jugé souhaitable.

Ce préambule nécessaire achevé, le chapitre suivant porte sur l’exploitation des ressources épuisables. Le concept majeur pour l’analyser est la “règle d’Hotelling“, énoncée en 1931. Le principe sous-jacent en est le suivant : face au choix entre extraire une ressource et la vendre d’une part ; ne pas l’extraire et la conserver “en terre” pour l’exploiter plus tard, d’autre part, le propriétaire de la ressource doit comparer ce que lui apporte l’extraction et la vente aujourd’hui et l’extraction future (actualisée). C’est un arbitrage intertemporel assez classique. Rotillon analyse en détail ce principe et la règle qui en découle, dont on retiendra seulement ici qu’elle fait apparaître sans surprise le rôle fondamental du taux d’intérêt, (représentant le rendement des autres actifs de l’économie) et du coût d’extraction (faisant ainsi intervenir implicitement le progrès technique). Cette règle est-elle vérifiée ? Aucune étude n’a pu le faire. Ce qui ne surprend pas l’auteur. Pour lui, compte tenu de sa simplicité, cette règle est presque par nature incompatible avec la complexité du fonctionnement des marchés de ressources non renouvelables. “[Son but n’est] pas de proposer une théorie positive de l’exploitation d’une ressource épuisable, mais de conceptualiser, toutes choses égales par ailleurs, l’effet de la nature non renouvelable de la ressource”. L’auteur analyse ensuite des extensions possibles applicables à la règle d’Hotelling, telles que la prise en compte d’une structure monopolisique de contrôle de la ressource ou l’introduction d’une incertitude (qui peut porter aussi bien sur l’état réel du stock, la demande future ou les évolutions technologiques). La fin du chapitre examine les modalités de mesure de la rareté des ressources renouvelables, à l’aune de la problématique fournie par Hotelling. Après avoir encore souligné la difficulté à décrire une raréfaction claire et nette, l’auteur souligne que l’évolution des stocks connus, le progrès technique et l’apparition de substituts explique probablement pourquoi c’est un constat qui n’est pas encore indubitable.

L’analyse de la gestion des ressources renouvelables repose sur deux éléments : une règle d’arbitrage comparable à celle d’Hotelling (dans le cadre du modèle de Gordon de 1954) et la dynamique de la ressource (celle-ci étant intimement liée à celle-là). Si l’idée d’un surplus consommable à chaque période sans toucher au stock existant (lui-même “optimal” en quelque sorte) est régulièrement avancé comme règle de gestion, Gilles Rotillon montre que cette règle est difficilement compatible avec des choix économiques rationnels. Il étudie ensuite l’influence du mode de propriété de la ressource (privée ou collective), montrant en quoi il n’est pas sans effet sur l’optimalité de l’exploitation. Il développe les intutitions ainsi dégagées en les appliquant à la gestion des ressources halieutiques ou forestières, prenant soin de distinguer les ressources renouvelables cultivées par l’homme. Qu’est-ce qui peut conduire à l’extinction d’une ressource renouvelable ? L’auteur pointe deux phénomènes, résumé dans.le vocable “tragédie des biens communs” (ou simplement “tragédie des communs”). Lorsqu’une ressource est en accès libre, chacun est libre de la consommer comme il le souhaite. On comprend intuitivement qu’en l’absence de régulation collective, l’accès libre aboutit à une course à l’usage de la ressource, individuellement rationnelle, mais socialement calamiteuse. Dans la mesure où toute unité de ressource renouvelable compromet, ceteris paribus, la reproduction future du stock, il existe des externalités de production, dans le sens où le prélèvement d’un producteur réduit la capacité de régénération de la ressource et donc le bien-être des autres exploitants. Ces deux caractéristiques de l’exploitation d’une ressource conduisent donc à un risque d’extinction. Comment remédier au problème ? Après avoir envisagé une gestion collective centralisée, dont on peut souligner les difficultés de mise en place efficace, l’auteur pose la question, au demeurant paradoxale, de l’optimalité de l’extinction de la ressource. Puisque préserver la ressource correspond à un investissement dont le rendement est mesuré par les gains de son exploitation durable, il est utile de comparer ce rendement à celui d’autres actifs. Le chapitre se clot sur l’analyse dite de “Common Pool Resources” (ou CPR), qui plaide pour une gestion institutionnelle contingente des ressources renouvelables. Ainsi, on ne mettra pas en place le même type de gestion selon que le nombre d’exploitants est important ou non, que la ressource est en voie de raréfaction ou non. Les acteurs de la régulation, privés ou publics, n’auront pas non plus le même rôle à jouer en fonction de la situation.

Le chapitre suivant propose une synthèse des questions pratiques concernant les ressources renouvelables. Il s’intéresse d’abord aux ressources halieutiques, soulignant encore une fois les difficultés à évaluer précisément la surexploitation des espèces et la complexité des régulations efficaces. Le cas de la forêt est ensuite abordé, relevant le caractère réel de la déforestation et l’insuffisance des bonnes pratiques en la matière. L’auteur envisage ensuite le cas du climat, qui peut être assimilé à une forme de ressource renouvelable. On trouvera sur ce point les analyses usuelles, l’émergence d’une reconnaissance publique internationale du problème et les démarches mises en chantier à sa suite. Le dernier point abordé est celui de l’eau. On notera avec l’auteur que l’eau est un cas un peu à part dans la mesure où bien que régénérable, cette capacité est fragile et très variable selon les points du globe où l’on se situe. Ce qui la rapproche sensiblement d’une ressource épuisable. La difficulté avec l’eau, selon Rotillon, est avant tout de satisfaire la demande, d’assurer l’accès à l’eau potable à tous ceux qui en ont besoin. Ce qui pose un problème de financement. En quelques pages, il développe une analyse dont la conclusion est que l’alternative radicale public/privé est stérile et que solutionner le problème de l’eau passe à la fois par la reconnaissance des compétences des grands groupes pour, la nécessaire subvention des projets coûteux par des fonds publics ; le tout orchestré par des systèmes d’incitation qui fassent jouer à chacun (Etats, entreprises, collectivités d’usagers) un rôle actif.

Le dernier chapitre porte assez naturellement sur la notion de “développement durable”. Rotillon y distingue la notion de soutenabilité faible de celle de soutenabilité forte. La première version repose sur la définition d’un critère très général à maximiser sous contrainte. Ce critère peut ainsi être “le niveau de consommation par tête, le maintien des capacités productives, la somme infinie des utilités actualisées ou encore l’utilité de la génération ‘la moins bien lotie’ “. La seconde (soutenabilité forte) repose, selon l’auteur, sur une définition plus ciblée de ce qui est à conserver, de ce qui ne doit pas décroître (biens, espèces), sans pour autant se baser sur un critère abstrait. L’auteur soutient le point de vue que la première serait à un premier stade préférable à la seconde. Celle-ci repose sur l’idée de “capital critique” (le capital naturel) qu’il ne faudrait pas laisser descendre sous un certain seuil, comme on l’a dit. En dépit de son caractère plus concret, cette notion poserait plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait. Il faut définir en premier lieu ce qui doit être conservé. Or, ce quelque chose n’a rien dévident en soi, dans la mesure où définir strictement des biens ou des espèces à conserver risque de faire considérer des phénomènes comme indépendants alors qu’ils sont liés. Mais au final, la soutenabilité faible, pas plus que la soutenabilité forte ne sont en mesure de donner une direction claire à suivre pour définir une politique de développement durable. Ce constat peut alors, à l’instar de l’option retenue par Bjorn Lomborg, auteur du “Skeptical Environmentalist”, inciter à abandonner la notion de développement durable. La thèse de son ouvrage est qu’il n’y aurait finalement pas vraiment à choisir entre croissance et environnement, l’une assurant la qualité de l’autre. Rotillon se livre à une critique succinte de Lomborg, avant de conclure ce chapitre en remarquant que les débats relatifs au développement durable restent l’apanage des pays riches. Revenant sur ce thème dans la conclusion de l’ouvrage, il ajoute que, sur ces débats, l’économie ne donne pas à ce jour de réponse claire et que la politique est alors la seule à opérer.

Ramassé, pour ne pas dire dense, cet ouvrage est à la fois une revue de la littérature et l’expression de points de vue personnels et critiques sur la question des ressources naturelles. Pas facile de rédiger ce genre d’ouvrage qui porte la triple contrainte d’être accessible à un lectorat le plus large possible, d’y inclure des interprétations qui relève du travail propre au chercheur spécialisé et de boucler l’ensemble en un nombre limité de pages. Une autre qualité que l’on peut mettre en exergue est le soin de bien faire comprendre au lecteur le mode de raisonnement de l’économiste face à la question des ressources naturelles. Comme si les méthodes avaient autant (voire plus) d’importance que les résultats des modèles (ce qui est exact). Il s’agit d’une lecture qui demande une réelle concentration, mais on en sort avec le sentiment d’un tour d’horizon de grande qualité.

Stéphane Ménia
15/05/2005

Gilles Rotillon, Économie des ressources naturelles. , La découverte, 2005 (7,95 €)

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