Note de lecture


Économie des fusions et acquisitions
N. Coutinet et D. Sagot-Duvauroux (2003)

Si vous le rencontriez, ne vous fiez pas aveuglément à l’avis d’un lecteur du livre qui, sur le site d’Amazon, écrit “Livre qui n’est pas suffisamment travaillé. Analyses et réflexions limitées. Peu d’exemples. D’où une utilité réduite pour étudiants ou praticiens.”. Je le trouve injuste quant à l’évaluation du travail des auteurs et, par dessus tout, complètement inadapté aux ambitions du livre. Cette économie des fusions et acquisitions tente de faire le tour de son sujet en 120 pages. Ce qui ne laisse de pas la place aux détails, encore moins aux analyses et réflexions véritablement poussées. Concernant les exemples, on peut leur reprocher de ne pas être, pour l’essentiel, des études de cas, mais ils sont bien présents, de manière systématique. Le dernier chapitre offre même trois études de cas très honnêtement développées. Pour ce qui a trait à l’utilité pour les étudiants et praticiens, il me paraît évident que si vous êtes chercheurs en sciences de gestion ou en économie industrielle, cet ouvrage vous sera d’une utilité toute relative et si, en tant que praticien, vous vous préparez à racheter Canal +, le livre ne vous sera d’aucun secours. Cette mise au point me semblait nécessaire.
Le grand intérêt de l’ouvrage est d’aborder le sujet sous des angles très différents. Il délimite en premier lieu le champ des opérations de fusions et acquisitions (F&A) et décrit leurs diverses modalités juridiques et financières, offrant une typologie plutôt claire et exhaustive. La partie analytique est amenée par un historique des différentes vagues de F&A depuis la fin du XIXème siècle, dégageant les grandes tendances en la matière. Les auteurs s’attachent ensuite à remettre en perspective ces périodes pour souligner leurs contextes macroéconomiques respectifs. Le terme “aspects macroéconomiques” utilisé comme titre du chapitre me paraît un peu trompeur, puisqu’on retrouve en fait des éléments très divers, dans une optique globalement plus microéconomie/économie industrielle que macréoconomie. Mais ce n’est là qu’une affaire de pinaillages terminologiques. Le contenu du chapitre n’en souffre pas. Le but de ces pages consiste à rechercher les déterminants des F&A qui relève de l’environnement global des firmes, plutôt que de leur situation particulière. Il est donc question de cycles technologiques, d’institutions économiques et financières (en un mot de gouvernance des entreprises), de liens aux grandeurs conjoncturelles, ainsi que du rôle des interventions publiques.
L’analyse qu’on qualifiera de microéconomique ou managériale est présentée dans le chapitre suivant. C’est en fait celle qui est probablement la plus connue. Pourquoi une firme cherche-t-elle à en contrôler une autre ? Facile. Parce qu’être plus gros, c’est souvent mieux. Mieux pour grandir plus vite (et notamment ne pas s’ennuyer à développer des technologies quand les voisins font ça très bien et qu’on a juste à récupérer le travail accompli). Mieux pour profiter d’économies liées à la taille (économies d’échelle, de gamme, synergies). Mieux pour éviter d’avoir à travailler avec des gens potentiellement peu recommandables (une façon laconique de résumer la théorie des coûts de transaction de Coase-Williamson). Mieux aussi pour prospérer à l’étranger. Mieux parce que cela permet de ne pas trop se soucier de ce truc encombrant qu’on appelle concurrence (dit autrement, une motivation des F&A est l’accroissement du pouvoir de marché). Mieux, enfin, parce que des fois, si on ne grossit pas, on se fait avaler par les autres.
Pour ceux qui se demandent ce qui est arrivé à France Telecom ou Vivendi, le chapitre suivant leur donnera quelques éléments de réponse. Il concerne la dimension financière des opérations de F&A. Les F&A sont-elles source de richesse supplémentaire pour les actionnaires ? Les auteurs montrent que, dans un cadre de type Modigliani-Miller, il existe bien des perspectives de hausse de la valeur financière de la firme, cette hausse restant risquée, soumise à divers paramètres et finalement adossée aux perspectives économiques et commerciales de la firme. Cet aspect étant évacué, les auteurs se penchent sur ce qui est peut-être le point le plus intéressant de l’approche financière des F&A, leur réinterprétation à l’aune de la théorie de l’agence. Dans le conflit d’intérêt qui oppose dirigeants, actionnaires et salariés, quelle place tiennent les F&A ? Une place ambigüe. Instrument d’assise d’un pouvoir toujours plus grand pour les dirigeants, elles sont pourtant un instrument de contrôle des actionnaires (l’idée est simple : si une entreprise est mal gérée, son cours boursier ne reflète pas son véritable potentiel et une entreprise disposant d’une équipe de gestion performante a intérêt à la racheter – à bas prix – pour exploiter ce potentiel gâché). Les auteurs évoquent à ce sujet l’importance de la structure financière (part des différents financement) comme signaux et modes de contrôle des actionnaires. Si les F&A sont ainsi une arme à double tranchant pour les dirigeants, ce qui semble une quasi-certitude pour les auteurs est, sans guère de surprises, que les dindons de la farce sont les salariés. Outre les fréquents licenciements qu’occassionnent les F&A, le partage du pouvoir dans les nouvelles entités est, en principe, loin de se faire sur un pied d’égalité.
Le chapitre suivant, conscacré à l’évaluation générale des opérations de F&A, revient d’ailleurs longuement sur cet aspect en soulignant que la plus grande difficulté lors des rapprochements réside dans l’adhésion des personnels, soumis à une incertitude stressante et à des chocs de culture générateurs de résistance au changement. Les difficultés techniques et organisationnelles ne manquent pas non plus, dans la mesure où pour que le rapprochement soit véritablement profitable, l’opération doit avoir été planifiée dans toutes ses dimensions et s’appuyer sur de réelles justifications économiques (les synergies qu’un diagnostic stratégique un peu hâtif aura surestimées ne sont pas exceptionnelles). Bref, finalement, est-ce que ça marche ? La réponse est, on s’en serait douté, mitigée. Une tendance lourde signale que le processus de rapprochement aboutit généralement à ce que la firme initiatrice paie une prime à sa cible. Dans le détail, les modalités financières de l’opération ont une importance non négligeable, au moins à court terme, selon que l’on opère par OPA, OPE, par endettement ou sur fonds propres etc. A chaque fois, c’est une alchimie significativement différente qui opère. Par alchimie, entendez les aspects fiscaux attachés aux différentes formules d’acquisition, les signaux différents envoyés aux marchés dans les différentes options (celui qui paie en cash par exemple, ben il est confiant et le montre !), la valeur des titres offerts en échange pour les OPE etc. Conclusion : les F&A, c’est bien, surtout quand ça rapporte, mais ça rapporte pas tout le temps et généralement pas beaucoup.
Le dernier chapitre est axé sur la politique de la concurrence et ses critères de contrôle des F&A. La première partie du chapitre énumère les critères jugés utiles dans l’absolu pour évaluer une opération de concentration. En gros, il s’agit de la délimitation du marché pertinent (le marché où les risques de position dominante et d’abus de ladite position sont susceptibles d’apparaître) et du degré de concentration de ce marché. La règle paraît simple au demeurant : si la concentration est trop forte suite au rapprochement, alors les autorités l’interdisent. Mais, un argument d’efficience dynamique (la concentration, bien que forte sera source de gains de productivité qui profiteront à tous, malgré le pouvoir de monopole) peut théoriquement faire exception à cette règle. Dans les faits, la comparaison des politiques de la concurrence européenne, américaine et japonaise montre des différences sensibles. Après avoir présenté trois cas où la Commission Européenne a utilisé son droit de vêto pour interdire une opération de concentration, les auteurs formulent plus qu’implicitement des doutes quant à la philosophie concurrentielle des autorités européennes. Par exemple, ils remarquent que ” Les décisions de vêto de la CE indiquent que la politique de la concurrence européenne reste focalisée sur les effets des concentrations en termes de concurrence tandis que les Etats Unis prennent davantage en compte le critère d’efficience. […] Cette politique rend difficile la création de ‘champions nationaux’, notamment parce qu’elle ne considère pas que le marché pertinent des firmes européennes est systématiquement le marché européen (EEE). Les Etats Unis, notamment pendant l’administration Reagan ont favorisé l’émergence de telles firmes. La CE, en les interdisant, peut compromettre la compétitivité mondiale des firmes européennes.”. Sans entrer dans le débat sur la politique industrielle, l’argument n’est pas stupide. On sait que les références à une concurrence statique idéale, quand bien même (voire surtout) aménagée, sont souvent erronées et que les questions d’efficience dynamqiue sont cruciales.
Ce livre est un tour d’horizon que je crois bon de conseiller à ceux qui recherchent une synthèse. Inutile de préciser, comme le résumé qui précède le montre assez bien, que l’approche de l’ouvrage laisse de côté les considérations pratiques sur la question. Pour le dire autrement, d’un point de vue estudiantin, ce petit livre est plus destiné à ceux qui sont en fac de sciences éco qu’à ceux qui suivent une scolarité en écoles de commerce.
Stéphane Ménia
04/05/2003

N. Coutinet et D. Sagot-Duvauroux, Économie des fusions et acquisitions. , La découverte, 2003 (7,55 €)

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